Portraits

Rencontre avec Virginie Foucault, le Boulon

Espace de liberté à vocation culturelle mais aussi sociale, le Boulon interroge*. Comment assurer un accès égal à la culture ? Comment sortir du cadre des appartenances sociales et inviter l’usager à devenir « maître d’usage » d’un lieu culturel qui doit lui appartenir ? A Vieux Condé (France), c’est dans la rue que ces réponses ont été trouvées ! Rencontre avec une femme habitée qui porte, depuis presque 20 ans, un projet étonnant.

Du théâtre à la rue

Lilloise spécialisée dans les domaines de l’information et de la communication, Virginie découvre Vieux-Condé lorsqu’elle prend le poste de Responsable en Communication de la ville en 1993. Dès son arrivée, elle s’investie avec enthousiasme dans une association qui transforme un ancien cinéma, l’Espace Boris Vian, en théâtre de poche ouvert à tous les publics. Profitant de la localisation transfrontalière de Vieux Condé, elle développe des projets avec l’association belge « Arrêt 59 », dans le cadre d’une collaboration qu’elle qualifie elle- même d’« illégalement transfrontalière ». Cette situation évolue rapidement et c’est ensuite grâce aux soutiens de l’Europe qu’elle fait grandir la structure puis la professionnalise.

Après quelques années de travail, le lieu trouve son public. L’association réussit à mobiliser et à fidéliser une partie de la population jusque-là absente des lieux culturels. Consciente que cela ne suffit pas, elle crée le festival « les Turbulentes » en 1999 et fait sortir le théâtre dans la rue ! Autour de disciplines fédératrices qui se jouent en proximité du public et portée par l’envie des artistes de nouer une autre relation à l’art et à la population, cette première édition est un succès. L’association élargit petit à petit son champ d’action. Soutenue et reconnue d’intérêt communautaire par la Communauté de Communes, elle se met alors en quête d’un lieu pour mettre en place ses projets.

En 2002, c’est LA rencontre, celle de deux « absences ». D’un côté, une friche industrielle et son bâtiment à l’abandon et de l’autre une association dépourvue d’espace dans lequel s’exprimer. Cette ancienne usine de 4 000 m2 en « déshérence » trouve une nouvelle vie dans un projet d’abord expérimental qui se définit ensuite de plus en plus clairement.

Dans une période où de nombreuses interrogations se posent concernant la reconversion des friches industrielles et de ce nouveau potentiel disponible pour l’Art, le projet prend tout son sens. Virginie repart en formation de direction de projets culturels à Grenoble et prépare le futur. Avec son mémoire intitulé « De l’ouvrier à l’oeuvrier ! » elle questionne déjà ces « nouveaux territoires de l’art et de la mémoire » et leur appropriation par la population.

Le Boulon, créateur de liens

Le Boulon tire son nom de l’héritage industriel du lieu qui l’accueille désormais, ainsi qu’à son voisin, une usine qui fabriquait des boulons utilisés notamment pour construire la Tour Eiffel. Mais le boulon est en réalité bien plus ! C’est une pièce qui assemble et comme lui, cet ancien espace de production, en devenant un espace de rencontre, initie des artistes et la population afin de construire du « commun ».

Exemple de co-construction

La reconquête de cette friche a suscité une attention particulière et mobilisé de nombreux partenaires, engagés dans la réhabilitation de ce lieu chargé de sens. Alors que « Lille, Capitale Européenne de la Culture 2004 » s’achève, la région prend le relai et lance les « Capitales Régionales pour la Culture », qui visent à développer des outils culturels pérennes. Le soutien de la région, à hauteur de 2 millions d’euros sur un budget total de 6 millions, est un symbole fort. Les autres suivent, à l’échelle locale mais aussi européenne.

Le Boulon ne doit pas être un bel objet architectural. Il doit au contraire garder son âme et rester un espace de liberté. Chacun des acteurs ayant pris part au projet, qu’ils soient architectes ou maîtres d’œuvre, a été sensibilisé à cette vision. Cette démarche inhabituelle invite à s’interroger sur les nouvelles pratiques et logiques en matière de gouvernance, dans la création de lieux culturels notamment. Elle vient bouleverser les modèles pour en proposer un nouveau, plus proche du territoire.

Fabrique artistique !

En 2011, le Boulon ouvre ses portes et devient Centre National des Arts de la Rue, un label qui le positionne comme référence régionale et qui favorise aussi la reconnaissance de ces disciplines.

Avec pour vocation de soutenir la création, il diffuse des spectacles au sein de ses « places publiques ». Il accueille en résidence une dizaine de compagnies tout au long de l’année, pour des temps de répétitions de jeu. Comme un clin d’œil à son ancienne activité industrielle, il offre également un atelier technique permettant la fabrication d’éléments notamment scénographiques.

Très attaché au partage du processus de création, il propose régulièrement des « Sorties de fabrique », qui invitent les habitants à rencontrer les artistes au travail. En désacralisant la posture de l’artiste, le Boulon comble la distance parfois creusée avec le public. Ce public devient même artiste lors de créations partagées, dans une démarche qui mêle expérimentation sociale et artistique ! À travers des marches sonores, théâtrales et philosophiques, il incite à la redécouverte du territoire et favorise la cohésion sociale.

Point fort de l’année, le festival « Les Turbulentes » désormais vieux de 20 ans, reçoit aujourd’hui entre 25 et 35 compagnies artistiques de la région, de toute la France ainsi que quelques compagnies étrangères. Les artistes de rue prennent alors les clés de la ville et l’investissent pour offrir à ses 10 000 habitants et 35 000 spectateurs des moments artistiques d’exception !

Like et le Boulon, une affirmation

Pour Virginie, rejoindre Like était presque une évidence. « Dans cette Europe en crise, l’Art et la Culture peuvent jouer un rôle » et devenir les outils d’un « combat constructif pour recréer mais aussi inventer ».

Pour un réseau initialement orienté vers les collectivités, se tourner vers les opérateurs culturels est, selon elle, une vraie richesse. Il offre un espace de réflexion croisée particulièrement fertile, qui montre différents visages et « agite les idées » de manière encore plus vive. Dans un quotidien prenant et engagé comme le sien, Like et son espace de dialogue sont fondamentaux… Car là où le « faire ensemble » est de coutume essentiel, il est, dans le contexte actuel, d’autant plus précieux !


*Article écrit sur commande du réseau culturel européen LIKE, les rencontres

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