Art thérapie

L’artiste, créateur du militantisme d’aujourd’hui

L’année 2016 a été pour moi un véritable bouleversement émotionnel et intellectuel. Le Brexit, qui questionne sévèrement une Europe en plein délitement, mais aussi l’arrivée de migrants déçus par un rêve européen illusoire, accueillis par les uns, refoulés par les autres, ou encore l’élection de Donald Trump à la tête d’une des plus grandes puissances mondiales, ont été pour moi, un véritable choc. Malheureusement, ces grands événements, s’ils ont pu me secouer, sont loin d’être les seuls séismes aptes à provoquer inquiétude et indignation.

C’est d’une discussion passionnée avec Nima Sarkechik, pianiste, qu’est née mon envie d’écrire quelques mots sur l’engagement artistique. Il m’explique qu’en décembre 2016, alors que les préparatifs autour de la nouvelle édition du « Salon d’Automne International » auquel il devait participer s’achèvent, celui-ci est soudainement annulé. La vocation de cet événement né en France puis exporté, est de créer des liens entre des artistes provenant de pays habituellement « ennemis ». Nicolas Colet, directeur, explique que sa structure a connu « une pression terrible de la part des frères musulmans » très présents dans la ville de Sfax, pourtant « Capitale culturelle du monde arabe » cette même année. L’événement au succès indéniable, déjà organisé à Tel-Aviv en 2012 et 2014, est donc purement et simplement annulé, sans préavis et manu militari.

Je me suis beaucoup interrogée sur la meilleure manière de contribuer à faire « changer les choses », à réagir, à agir même, face à l’effritement des relations entre les peuples et au rejet de plus en plus massif de l’Autre. Dans ce questionnement, quelques exemples plus ou moins récents et plus ou moins proches de moi ont particulièrement frappé ma conscience. Ils ont impulsé l’activisme indispensable pour engager un changement de société. C’est avec cette envie de les partager que j’écris aujourd’hui.

Au cœur du débat politique

En 1968, Nicolas Uriburu, artiste contemporain, architecte paysagiste et écologiste déverse dans le Grand Canal, à Venise, un colorant vert fluo. Il entend ainsi dénoncer la pollution de l’eau. En 2005, à la Biennale de Venise, un duo d’artistes militants, Lucy et Jorge Orta, entreprennent de pomper l’eau de ce même Grand Canal avec une technologie assez artisanale. Cet outil conçu avec des scientifiques, sera ensuite donné à l’association « Médecins sans frontières ». Une nouvelle génération d’artistes qualifiés plus tard d’« anthropocènes » engage à travers ses œuvres une véritable démarche politique. Son ambition ? Transformer un mode de vie qu’elle estime dépassé pour « repositionner l’homme vis-à-vis de la planète dont il ne doit plus être possesseur mais simplement une forme vivante parmi d’autres ». C’est en tout cas ce que précise Christophe Rioux, professeur d’économie à Sciences Politiques Paris.

Le 12 janvier 1985, c’est un autre combat dans lequel se lancent Joseph Beuys, Andy Warhol et Kaii Higashiyama. Tous trois participent au « Global-Art-Fusion » initié par l’artiste conceptuel Ueli Fuchser. Ce projet FAX-ART intercontinental consiste à l’envoi d’un fax contenant plusieurs dessins de ces trois artistes. Il est envoyé en 32 minutes aux quatre coins de la planète, « de Dusseldorf à New York via Tokyo puis réceptionné au Palais Viennois Liechtenstein ». Il se veut un symbole fort, celui d’un signe de paix au cœur de la guerre froide.

À l’autre bout du monde, Ai Weiwei, artiste contemporain chinois parmi les plus connus, s’engage quant à lui pour remettre en cause un modèle chinois de plus en plus contesté. L’impact social de l’ouverture au monde capitaliste est désastreux, les populations déplacées, le patrimoine mis à terre. Ai Weiwei s’engage de diverses manières, en étant par exemple signataire d’une charte signée par 300 intellectuels et artistes chinois en faveur de la démocratie et la défense des droits de l’homme en Chine. Il dédie également l’ensemble de ses créations au combat qu’il mène contre le régime du pays qui l’a vu naitre. Avec son installation, Remémoration (2009, Haus der Kunst, Munich), il commémore, à travers 9 000 sacs d’écoliers, la mémoire des enfants victimes de la corruption des dirigeants de la région du Sichuan qui ont négligé la construction d’écoles, causant leur mort après l’important séisme qui a frappé la région en 2008.

Enfin, de manière plus proche de moi et parce que son travail m’éveille et m’éclaire, je pense à Cécile Pitois. Artiste plasticienne sensible, originaire de Touraine, elle œuvre à la création de « socles de rencontres ». Elle compose et crée des espaces à vocation sociale, pensés comme des lieux ouverts où chacun trouve sa place, quels que puissent être sa catégorie sociale, son âge ou son origine. À travers des visites réalisées par les habitants eux-mêmes, elle met à jour puis en lumière le génie insoupçonné de ces territoires. Un espace à offrir en partage, voici le cœur de ses propositions artistiques ! À Vitry sur Seine, elle réalise actuellement une œuvre urbaine engagée, la « Danseuse de Lumière et ses Arcs », au cœur de la cité Balzac. C’est l’acte de désespoir de la jeune Sohane Benziane qui s’y est immolée en 2002, conduisant quelques années plus tard à la création du mouvement bien connu en France, « ni putes ni soumises », qui inspire cette œuvre féministe et engagée.

Être artiste aujourd’hui

C’est dans ce contexte que je me questionne sur l’Artiste.

Existe-t-il plusieurs façons d’être Artiste ? Quels sont les différentes formes d’engagement ? Le risque technique et artistique prévaut-il au politique ? Est-ce que le musicien qui traverse le monde pour interpréter, dans les plus grandes salles, des œuvres écrites il y a des siècles, est artiste au même titre que celui qui engage ses valeurs et ses idéologies dans un combat, même s’il peut paraitre perdu d’avance ?

L’art, dans son côté militant et profondément ancré dans son époque, se veut révolutionnaire. C’est sans doute ce qui me touche tant ! Par son caractère utopique, il ne cherche pas forcément à condamner mais plutôt à ouvrir le futur en partageant des aspirations et en offrant une proposition qui, loin d’être figée, est au contraire en perpétuel mouvement.

Je me suis questionnée pour comprendre quel pouvait être mon rôle au milieu de ces démarches engagées. Comment m’exprimer et par quels moyens ? À ce jour je n’ai trouvé de réponses que dans mes mots et ceux des autres. Ai Weiwei estime que « nos actes et nos comportements disent au monde qui nous sommes et quel type de société nous défendons ». Si 2016 a été l’année d’une révélation, 2017 sera donc très probablement celle de l’affirmation de convictions… avec un crayon !


Cet article est une commande du Festival Italien BUK (petites et moyennes maisons d’édition) : Site Buk Festival

Photos : pexels.com / Thomas Vanhaecht

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